Préambule
Cet article fait écho à un émail que j'ai envoyé à un de mes syndicats de "psy" dans lequel j'indique mon opposition à l'écriture inclusive.
Certains collègues ont partagé le contenu de mon email sur les réseaux sociaux, un espace médiatique dans lequel je suis, délibérément, très peu présent.
Mon projet, depuis plusieurs mois, de m'opposer ouvertement à l'utilisation de l'écriture inclusive, a été accéléré par la réception récente d'un email commençant par "Cher.e.s collègues et futur.e.s collègues".
Cet email était adressé à tous les adhérents de mon syndicat.
A noter que la suite de l'email n'était pas en écriture inclusive.
J'ai répondu "Chers collègues ..."
J'extrais ici quelques arguments développés dans mon email de réponse et enrichis par d'autres développements cohérents avec l'éthique du Modèle-2L, objet de ce site.
Cet article s'adresse surtout à ceux qui, comme moi, se sentent violentés lorsque leur langue, française, est menacée d'une atteinte à son intégrité. J'ai plus envie de les faire réagir que de convaincre ceux qui militent pour l'écriture inclusive ou l'adoptent opportunément.
Entre les deux, il y a une masse majoritaire de français qui pourraient abandonner leur langue sans l'avoir voulu, par passivité ou ignorance, ou même "collaborer" à sa perte par générosité ou solidarité naïves.
Si des membres de cette majorité silencieuse peuvent trouver dans cet article de quoi, au moins, les faire douter alors j'en serais apaisé.
J'ai conscience d'avoir une relation fusionnelle avec ma langue principale, celle dans laquelle je pense, je rêve, je nomme au plus près ce que je ressens, ce que j'observe, ce que je débats.
J'avoue avoir parfois une réaction "épidermique" lorsque je la sens attaquée mais je l'aime trop pour rester de marbre.
L'Article
Je fais partie de ceux qui considèrent que l'écriture inclusive est une désastreuse atteinte à la langue française.
Une langue est un des composants les plus importants d'une culture et de l'imaginaire individuel.
À moins d'être dans un régime totalitaire, l'évolution d'une langue ne s'impose pas à partir d'une idéologie ou d'une science sociale qui n'a pas encore fait ses preuves d'une véritable démarche scientifique et d'un recul suffisant.
L'évolution d'une langue obéit à des processus naturels, historiques, lents et complexes.
Une telle évolution ne peut être laissée à la merci d'une minorité active qui tenterait, au forceps, d'imposer des méthodes contreproductives qui desservent la juste cause des droits des femmes qu'elle est censée servir.
Ce serait comme abandonner notre langue à des apprentis-sorciers.
Évidemment je ne parle pas d'évolutions naturelles et bienvenues comme, par exemple, la féminisation des noms de métiers ou autre modernisation naturelle de la langue.
Je ne parle pas non plus de la relation privée entre les "psy" et les patients, où chaque cas est unique et chaque réponse unique.
Je parle des écrits publics, littéraires, administratifs, universitaires, médiatiques qui peuvent donner l'illusion d'un consensus collectif alors qu'ils ne seraient qu'une tentative terrorisante d'une minorité active.
Il serait intéressant de faire de fréquents sondages sur ce sujet sans le confondre avec l'égalité femmes/hommes.
Mes observations, mes interventions, mes recherches m'ont convaincu que la langue d'une culture, outre sa fonction unificatrice de la communauté qui l'utilise, est une production spécifiquement humaine, puissante, mystérieuse, quasiment sacrée, qui n'a pas encore livré tous ses secrets et son "codage".
Celui qui s'en est approché le plus est probablement Jacques Lacan. Dommage qu'il soit difficile à comprendre pour beaucoup.
La langue est, j'en suis convaincu, au centre des mécanismes de transmissions non-conscientes, collectives ou relationnelles.
Elle transmet, à notre insu, plus qu'une simple information opérationnelle. Entres autres :
- Elle structure notre mode de pensée.
- Elle assure une chaine humaine historique à laquelle appartiennent ceux qui la parlent.
- C'est elle qui fait des "français culturels" plus "gaulois" que certains descendants, seulement "généalogiques", des gaulois.
Elle mérite un respect, un statut quasi sacré.
Ses modifications qu'elles soient parlées ou écrites méritent réflexions, recul et distance. Elles ne devraient pas faire l'objet d'improvisations émotionnelles ou idéologiques.
(Parenthèse 2L)
La langue est une des pièces maitresses de l'instance appelée l'INSU, dans le modèle-2L, qui regroupe des instances connues telles que, par exemple, l'inconscient collectif d'une culture, l'inconscient individuel ou le préconscient individuel.
Un article prochain sera consacré à l'INSU.
La langue parlée a, dans le modèle-2L une importance décisive dans sa fonction INSU de transmission du contenu culturel. Cependant la langue parlée et écrite sont liées. Le DIT et l'ECRIT sont inséparables.
Nous sommes convaincus qu'en touchant à l'ECRIT nous impactons aussi, à terme, le contenu culturel de l'INSU essentiellement transmis par la parole DITE.
Outre ces considérations anthropologiques essentielles, citons quelques dérives et inconvénients parmi tant d'autres déjà largement débattus dans l'espace public sur le sujet de l'écriture inclusive.
C'est un sujet qui pourrait devenir un "marqueur" social, politique et culturel.
Accepterons-nous, par exemple, que la rédaction des CV des chômeurs soit discriminante selon que le CV est ou non en écriture inclusive ?
Accepterons-nous qu'un candidat à un examen ou à un concours donne au correcteur, par l'écriture inclusive, des "indications", favorisantes ou non, sur sa position sociale et culturelle (ce qui est interdit) ?
Avec l'écriture inclusive, la différence entre l'ECRIT et le DIT contribue déjà à de la confusion.
Si tout l'email que j'ai reçu était en écriture inclusive, cela m'aurait douloureusement exposé à un texte grotesque, impossible à comprendre quand il est lu par mon lecteur audio de mes emails.
A-t-on pensé aux aveugles, qui sont actuellement probablement plus nombreux que les adeptes de l'écriture inclusive, et qui profitent de cet avantage technologique (lecture audio des emails, SMS etc.) ?
Ils ne remercieront pas les autocentrés à l'origine de ce massacre auditif.
Et mon correcteur de textes qui me souligne en rouge les "fautes" de la moitié de mon texte ? Je ne sais pas combien de temps mettra l'intelligence artificielle française pour mettre à jour mon correcteur de français.
L'émail qui m'a été envoyé semble, astucieusement, opérer un compromis en n'utilisant l'écriture inclusive que dans la formule de début, "Cher.e.s collègues et futur.e.s collègues," puis en poursuivant par un texte non inclusif.
C'est un "Et en même temps" qui ne prend pas position et qui me fait plus penser à de la compromission qu'à un compromis créatif.
J'ai demandé à mon syndicat de consulter nos adhérents sur ce sujet. Chacun saura ensuite s'il adhère au syndicat qui lui convient.
(Information 2L)
Mon prochain article intitulé Non ! "ET en même temps" n'est pas toujours un ET abordera l'utilisation pertinente et non pertinente du principe du "ET" de gouvernance de situations complexes. Transformé en "ET en même temps", son utilisation inadéquate est à l'origine de quelques mauvaises gouvernances de problèmes sociaux ou culturels.
Voilà donc quelques-unes de mes raisons de penser qu'on ne s'attaque pas impunément à une langue, à la légère.
Je pense que l'inconscient collectif de la majorité des Français, actuellement silencieuse ou passive face à l'écriture inclusive, finira par se faire entendre et faire revenir à la raison une minorité active souvent politique, universitaire, médiatique ou idéologique.
Il est temps qu'une résistance active soit opposée à cette minorité avant qu'elle ne finisse par faire croire à la majorité qu'il y a un consensus collectif sur le bienfondé de l'écriture inclusive.
Pour ma part, j'accepterai de continuer à débattre de ce sujet y compris avec les adeptes de l'écriture inclusive.
En attendant j'ai décidé, entre autres, de :
- Ne pas répondre à un émail en écriture inclusive.
De demander qu'il me soit renvoyé en français.
- De ne pas "suivre" comme un mouton ceux qui en font la promotion.
Pour conclure avec un peu d'humour, je dirais que :
- Pour défendre l'écriture des femmes je laisserai cette mission à Mme de Staël qui sait écrire avec puissance "de tous les hommes que je n'aime pas, c'est certainement mon mari que je préfère". Cela fait plus réfléchir que l'écriture inclusive.
- Je continuerai à me nourrir avec plaisir des différences entre l'ECRIT et le DIT qui contribuent à de la réflexion et de la culture.
Par exemple, avec les paradoxes tels que cette phrase DITE dès la première séance d'une thérapie de couple :
"Nous sommes en conflit. Je suis venue ici pour en finir , avec mon mari". Tout est dans la virgule non entendue. Deux sens diamétralement opposés peuvent être "entendus" suivant qu'on pense cette phrase avec ou sans la virgule.
- Et puis avec mon simple "Chers Collègues", je n'ai jamais eu l'impression de ne m'adresser qu'à des hommes. Le rappel à l'ordre, reçu en début d'émail, s'apparente à un "viol linguistique", une nouvelle catégorie de dénonciations qui mérite au moins un #touchepasamalangue.
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Le 2 mai 2021 : au JDD le ministre J.M. Blanquer annonce pour bientôt une circulaire interdisant l'écriture inclusive dans l'éducation nationale.
Le 3 mai 2021 : suite à mon article, j'ai reçu aujourd'hui, de mon syndicat, un email commençant par "Bonjour, chers collègues".